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Neurosciences | Faire tomber les neuro mythes : pourquoi la « bosse des maths » n’existe pas ? | EPISODE 4

Temps de lecture : 5 minutes

“Il est plus important de savoir avec qui l’on discute que de savoir où l’on est assis.“

Parole de neurone.

 

INTRODUCTION

Pourquoi ne pouvons-nous pas lier une région du cerveau à une fonction déterminée ?

Dans un précédent article, nous revenions sur le mythe cerveau droit et cerveau gauche. L’un serait le siège de la créativité et de la pensée globale quand l’autre serait celui de la pensée analytique, organisée. Cette approche qui tente de lier une région du cerveau à une fonction déterminée se retrouve dans de nombreuses conférences ou articles de vulgarisation. Ainsi l’amygdale serait le siège des émotions, le cortex préfrontal le siège des pensées complexes, etc… Même si les neurosciences nous ont effectivement permis d’identifier clairement la fonction de certaines zones comme la vision dans le lobe occipital (à l’arrière du crâne), le langage dans l’air de broca (au sein de l’hémisphère gauche) et plus récemment l’attention sélective dans le cortex préfrontal ventro-latéral, il nous semble important de redonner un peu de perspective dans le cadre de la vulgarisation scientifique. 

En effet, les scientifiques se réfèrent souvent aux aires cérébrales (voir aires de Brodmann) afin de comprendre comment le cerveau fonctionne. Mais le cerveau peut être découpé en de nombreuses, voir une infinité de régions dont il est très difficile voire vain de vouloir se rappeler la localisation et la fonction. Sauf si vous êtes chercheurs, travaillant sur une fonction ou une région d’intérêt particulière, il vous sera la plupart du temps inutile d’essayer de retenir ce type d’information. En revanche, il nous paraît plus intéressant de poursuivre une approche “en réseau”. Vous avez peut-être entendu parler du réseau par défaut, ce réseau qui comprend des neurones actifs lorsque l’on ne fait rien de particulier, des neurones “actifs par défaut”. S’il est plutôt accepté que nous possédons tous ce réseau, certaines de ses régions peuvent légèrement différer d’un individu à l’autre. Cette hypothèse du cerveau qui s’organise en réseau plutôt qu’en régions a été défendue dans un article publié par Ed Bullmore dans la revue Nature en 2012. 

 Dans cet article, l’auteur soutient que cette organisation en réseau permet une meilleure gestion d’énergie (pour un organe qui consomme plus de 20% de l’énergie du corps) et surtout une meilleure capacité d’adaptation. 

 En effet le cerveau s’adapte, il est “plastique”, et en cas de lésion, une fonction peut se développer dans une autre région. Ainsi, même lors de neurochirurgies qui nécessitent d’enlever de vastes zones du cerveau, il est possible de garder intactes certaines fonctions comme le neurochirurgien Hugues Duffau l’a démontré. 

 

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QUEL RÉSEAU POUR QUELLE FONCTION ?

Grâce à cette approche, il est plus facile d’identifier les principaux réseaux cérébraux et leurs fonctions. Nous avons décidé de vous en présenter trois ici :

Le réseau par défaut :

Il s’active lorsqu’on ne fait rien de particulier, il serait lié au vagabondage de l’esprit, aux périodes de rêveries et d’imagination. C’est LE réseau le plus étudié par les scientifiques aujourd’hui. Il pourrait-être directement impliqué dans des troubles tels que le déficit de l’attention, la schizophrénie ou encore la dépression. 

=> Pour l’activer c’est très simple, attendez quelques minutes sans rien faire de particulier. Vous allez alors voir des pensées, des images, émerger naturellement en vous, elles proviennent de l’activité de ce réseau. 

Le réseau des fonctions exécutives :

Il nous permet de mener à bien la réalisation d’une tâche et d’atteindre nos objectifs. Ils nous aide à réfléchir et à nous adapter aux situations en ajustant notre niveau d’attention. Les fonctions exécutives sont bien connues des neuropsychologues car elles sont en cause dans les troubles de l’attention, les troubles obsessionnels (TOC) ou encore l’autisme. 

=> Pour l’activer, il faut faire l’inverse que pour le mode par défaut et donc se mettre sur une tâche en se fixant un objectif. 

Le réseau de la saillance :

Il nous permet d’identifier ce qui est important dans notre environnement. On peut ainsi facilement remarquer de la nourriture sur le coin de notre table, voir un bel objet. Mais on peut aussi regarder vers notre monde interne et mettre en lumière une sensation ou une pensée. 

=> Pour l’activer, regardez autour de vous. Scrutez votre environnement sans objectif précis et soyez attentif à ce vers quoi votre attention se porte naturellement.

 

DES RÉSEAUX QUI INTERAGISSENT 

Si ces réseaux sont différenciés, ils interagissent en permanence en fonction de nos activités. 

Ce premier exemple illustre la collaboration de ces trois réseaux : lors de votre trajet quotidien pour vous rendre au travail, vous empruntez en général le même chemin à quelques détails près, vous épargnant ainsi d’élaborer un nouvel itinéraire chaque matin et permettant de conserver de l’énergie pour d’autres activités. A ce moment-là votre esprit peut vagabonder, le réseau par défaut est activé. Imaginons qu’un jour, vous arriviez face à une zone de travaux que vous n’aviez pas prévue : à ce moment-là, l’activation du réseau des fonctions exécutives va vous permettre d’élaborer un plan pour vous rendre tout de même au travail, de la manière la plus efficace possible. Suivant ce nouvel itinéraire, vous êtes interpellé par la vision et l’odeur d’une épaisse fumée sur votre gauche : le réseau de la saillance est activé et vous permet de capter une information importante pour vous et d’éviter la zone incendiée sur votre trajet. Vous arrivez donc au travail avec quelques minutes de retard, mais on voit comment la collaboration de ces réseaux vous a permis de vous adapter à cette situation. 

On voit bien dans l’exemple précédent en quoi ces réseaux se complètent. Le réseau par défaut et le réseau des fonctions exécutives sont par exemple antagonistes. Et cela paraît logique : l’un nécessite que l’on ne fasse rien de particulier, quand l’autre nous permet de réaliser un objectif. Mais des études menées par R. Beaty de l’université de Pennsylvanie ont montré que lors de périodes de créativité, ces deux réseaux avaient tendance à s’activer en même temps (le réseau par défaut nous permet de faire des liens avec nos expériences passées et le réseau des fonctions exécutives pourrait les mettre en application dans la tâche en cours). En fait, de même que pour le cerveau droit et le cerveau gauche, c’est la connexion et la communication entre les neurones qui compte. 

 Au final lorsqu’un orchestre joue, certains instruments sont devant, d’autres au fond, certains jouent en soliste, certains forment des groupes, mais ils suivent tous la même mesure et c’est la synergie de tous ces instruments qui fait vivre la partition.

 

AUTEURS

 Mathilde Maillebuau, neuropsychologue & Nicolas Bassan, psychologue et co-fondateur d’Open Mind Neurotechnologies

 

SOURCES 

Beaty, R. E., Benedek, M., Silvia, P. J., & Schacter, D. L. (2016). Creative cognition and brain network dynamics. Trends in cognitive sciences, 20(2), 87-95.

Bullmore, E., & Sporns, O. (2012). The economy of brain network organization. Nature Reviews Neuroscience, 13(5), 336-349.

Duffau, H. (2016). L’erreur de Broca. Michel Lafon.

Rudie, J. D., Brown, J. A., Beck-Pancer, D., Hernandez, L. M., Dennis, E. L., Thompson, P. M., & Dapretto, M. J. N. C. (2013). Altered functional and structural brain network organization in autism. NeuroImage: clinical, 2, 79-94.