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Ventre & Cerveau l Exploration d’une relation passionnelle

Temps de lecture : 10 min 

Le ventre, notre deuxième cerveau. Les recherches à son sujet sont aujourd’hui si nombreuses que nous ne pourrons toutes les aborder dans cet article. Cependant, nous avons à coeur de vous parler de ce deuxième cerveau et de l’impact parfois sous-estimé qu’il peut avoir dans notre vie. Nous allons donc vous détailler le rôle de votre ventre dans les trois sujets qui nous tiennent à coeur : les émotions, les capacités cognitives et les pathologies. A travers les expériences et études dont nous vous parlerons, nous allons vous montrer pourquoi aujourd’hui les chercheurs sont convaincus que le ventre vient communiquer et influencer directement votre cerveau et ce, notamment à travers un élément : l’alimentation. 

Ventre – cerveau : un couple très bavard 

Votre ventre, c’est environ 200 à 600 millions de neurones  – autant que possède le cerveau d’un chien ou un chat – distribués le long du tube digestif. C’est aussi 100 000 milliard de bactéries, ce qui en fait l’écosystème le plus dense de la planète. Enfin, votre ventre regroupe les ⅔ des cellules immunitaires de votre corps. Quant à votre cerveau, ce sont 86 milliards de neurones qui constituent votre matière grise et consomment 20% de votre énergie. 

Votre ventre, ce « cerveau du bas », est un organe sensible doté d’une grande puissance. L’action même de digérer est très complexe et difficile à reproduire en laboratoire. Certains chercheurs se demandent même aujourd’hui si le cerveau original ne serait pas l’intestin. Pour Michel Neunlist, expert mondial du système nerveux entérique (neurones qui tapissent le tube digestif), le ventre serait le premier cerveau car les organismes primitifs n’étaient initialement composés que d’un tube digestif. Le ventre aurait été le cerveau central durant des millions d’années jusqu’à la domestication du feu où le cerveau du haut se serait alors développé et aurait pris plus de place pour mieux nous nourrir et chercher de la nourriture. En effet la cuisson facilite la digestion et nécessite moins d’énergie pour mastiquer. Le premier cerveau dépensait alors moins d’énergie, ce qui en faisait plus pour développer l’encéphale. 

Vos deux cerveaux sont donc intimement connectés. Mais techniquement, comment font-ils pour communiquer ? 

  • Vos deux systèmes nerveux sont connectés par voie nerveuse à travers le plus gros nerf que contient votre corps : le nerf vague. Et ils discutent sans a-r-r-ê-t. Ce nerf vague part de derrière vos oreilles, puis en descendant dans le corps, vient innerver les poumons, le cœur, le foie, l’estomac, la rate et finir avec les intestins. A travers lui, le cerveau contrôle le fonctionnement de ces organes qui, à leur tour, l’utilisent pour envoyer des messages au cerveau l’informant de leur état mécanique ou chimique. Les 500 millions de neurones du ventre sont connectés au cerveau par le nerf vague. Le nerf vague est donc la voie de communication clés entre ventre et cerveau. Seuls 20% des nerfs qui connectent le cerveau et le ventre transmettent des informations allant du cerveau au ventre. Et 80% de ces nerfs transmettent l’information de notre ventre à notre cerveau.
  • Le ventre et le cerveau communiquent aussi par voie sanguine. Le microbiote intestinal, l’ensemble des bactéries de nos intestins, communique avec notre cerveau en faisant passer les apports des aliments par le sang et les mène jusqu’au cerveau. 

Avec toute cette communication, nous comprenons alors pourquoi l’alimentation est cruciale dans cette dynamique ventre-cerveau. Ce que votre ventre va vivre et recevoir, votre cerveau va en être impacté.  Nous allons à présent illustrer, à travers différentes recherches et expérimentations réalisées dans le monde, ce phénomène de communication toujours plus étudié.

Avoir des papillons dans le ventre

A Cork en Irlande, John Cryan fait parti de ceux ayant révélé le potentiel d’impact du microbiote sur les émotions et l’humeur. En prélevant des bactéries de l’intestin à des souris anxieuses et en les intégrant dans le microbiote de souris normales, Cryan a pu observer que leur niveau d’anxiété augmentait quasi instantanément. A l’inverse, en intégrant une partie du microbiote des souris saines aux souris anxieuses, l’anxiété de ces dernières diminuait. Des bactéries spécifiques, présentes dans le ventre semblent donc créer une anxiété psychique. 

Au Centre de Neurobiologie du Stress de Los Angeles, Kristen Tillish a adapté aux humains cette recherche sur le stress et le microbiote en étudiant les effets de la prise de probiotiques sur la réponse au stress (un probiotique est un ensemble de bactéries vivantes, utiles à la santé). Tillish a réuni un groupe de 36 femmes en parfaite santé, déclarant ne pas ressentir de stress au quotidien et sans problème gastrique. Durant deux semaines, la moitié de ces femmes a mangé chaque jour des yaourts avec probiotiques, tandis que l’autre moitié a mangé des yaourts sans probiotiques. Puis ils ont regardé si leurs cerveaux réagissaient différemment au stress en leur montrant une série d’images négatives et potentiellement menaçantes. Chez les femmes ayant mangé chaque jour un yaourt avec probiotiques, les chercheurs ont observé une diminution de l’activité dans la partie du cortex cérébral appelé l’insula, mais aussi dans le cortex somatosensoriel. L’insula est responsable du traitement des informations sensorielles internes au corps, tandis que le cortex somatosensoriel est responsable du traitement des informations sensorielles externes au corps. De plus, en réponse à la tâche, ces femmes ont connu une diminution de l’engagement d’un vaste réseau dans le cerveau qui comprend des domaines liés aux émotions, à la cognition et aux sens. Tout cela signifie que les femmes ayant consommé des probiotiques étaient moins sensibles à des images négatives voire violentes et ressentaient moins la sensation de peur ou d’anxiété. Ceci pourrait être dû à la production, via l’activité du microbiote, du neurotransmetteur GABA qui grâce aux neurones présents dans le ventre, remonte vers le cerveau et de là, aide à contrôler les sentiments de peur et d’anxiété.

La malbouffe : un fléau pour vos capacités cognitives

De nombreuses études se sont récemment penchées sur l’impact du microbiote intestinal sur les capacités cognitives, et notamment sur la mémoire et la prise de décisions. 

A l’Institut de Psychologie de Lubeck, les chercheurs ont mis les participants face à un dilemme. Une somme d’argent est déposée sur la table en face d’eux et est à partager en deux sommes entre lui et le partenaire de jeu. Mais c’est ce partenaire de jeu, un inconnu, qui décide de la répartition, et ils doivent l’accepter ou non. Par exemple, il vous donne 2€ et garde 8€ pour lui. Si le participant accepte cette offre injuste, il part avec un peu d’argent mais moins que son partenaire de jeu. S’il refuse l’offre, personne ne gagne rien. Et bien il se trouve que la décision prise face à ce dilemme dépend de ce que la personne a avalé juste avant. Dans le cadre de l’expérience, les participants devaient avaler un petit déjeuner entier avant de faire face au dilemme. Soit le petit déjeuner était protéiné, soit il était sucré. Les résultats furent sans appel : une même personne prenait des décisions complètement différentes en fonction de ce qu’elle avait mangé le matin. Si les participants venaient de manger un repas fort en protéines et très peu sucré, ils acceptaient plus facilement l’argent et étaient donc tolérants aux offres injustes. A l’inverse, avec un petit déjeuner fort en sucre, les participants rejettent 2X plus souvent les offres injustes. Cela est dû au fait que les protéines augmentent la quantité de dopamine, assurant, entre autre, la communication entre les neurones responsables de la motivation et de la prise de risque. 

Cette expérience est une première et les implications sont nombreuses. L’impact de l’alimentation sur la capacité à prendre des décisions justes et rationnelles est aujourd’hui encore exploré par la science. 

Il est depuis longtemps prouvé que la malbouffe (trop gras, trop sucré) fait grossir et est mauvaise pour la santé. Mais ce que nous ne savions pas encore, c’est qu’elle impacte la mémoire et ce, beaucoup plus rapidement qu’on ne pourrait le penser. 

De l’autre côté du monde, à Sydney, Australie, Margaret Morris a nourri des rats à la malbouffe durant plusieurs semaines. Grâce à un test de reconnaissance de la position des objets, elle a pu mettre en évidence que 4 jours de malbouffe ont suffi pour altérer le fonctionnement de l’hippocampe, la région cérébrale responsable de la mémoire et intervenant dans l’apprentissage et la consolidation des souvenirs. 

Localisation de l’hippocampe dans l’encéphale

Ce phénomène pourrait être éclairé par l’étude menée par Sophie Layé au Neurocampus de Bordeaux, démontrant que manger trop gras et trop sucré déclencherait une réaction inflammatoire qui se propagerait aux neurones. Comment cela est-il possible ? Manger trop sucré et trop gras provoque une réaction inflammatoire dans les tissus graisseux. Nos masses graisseuses libèrent alors des molécules porteuses de l’inflammation, et qui la propagent dans tout le corps par voie sanguine. Nous pensions nos neurones protégés par ce qu’on appelle la barrière hémato-encéphalique : c’est une membrane qui entoure les vaisseaux sanguins irriguant le cerveau permettant de le protéger des infections. Le Dr Layé et son équipe ont découvert que cette barrière pouvait être détériorée par l’alimentation et devenir poreuse, permettant alors à ces molécules porteuses de l’inflammation de pénétrer dans le cerveau. Les cellules microgliales seraient les premières touchées par cette inflammation. Le rôle de base de ces cellules est de « nettoyer » le cerveau en le débarrassant des déchets, c’est-à-dire de manger les neurones morts. En situation de nutrition déséquilibrée, ces cellules microgliales se mettent à manger des neurones vivants et détruisent des réseaux neuronaux entiers. 

Notre mémoire et autres capacités cognitives seraient-elles menacées ? Il est encore trop tôt pour être catégorique mais les recherches démontrant l’impact de notre alimentation sur nos fonctions cognitives s’accumulent. 

Impact sur le développement de pathologies

Nous observons de grosses similitudes anatomiques entre ce cerveau du haut qu’est l’encéphale et ce cerveau du bas qu’est le ventre. Des chercheurs se sont alors demandés s’il existait aussi un partage de certaines maladies. Deux pathologies sont aujourd’hui particulièrement étudiées sous ce prisme : la dépression et la maladie de Parkinson. 

Des chercheurs de l’Université catholique de Louvain en Belgique, ont récemment observé que deux groupes de bactéries intestinales (Coprococcus et Dialister), liés à des indicateurs de qualité de vie plus élevés, étaient systématiquement en nombre réduit chez les personnes atteintes de dépression, qu’importe le traitement en cours chez le patient. Le maintien de ces bactéries dans notre ventre semblerait donc avoir une fonction protectrice contre les symptômes de dépression. 

Concernant la maladie de Parkinson, elle a souvent été considérée comme une maladie provenant du cerveau et résultant de la destruction des neurones dans une région du cerveau qu’on appelle la substance noire et qui est entre autre, impliquée dans le contrôle de la motricité. De récentes études, nous poussent à penser que le ventre a autant d’importance, si ce n’est plus, dans l’apparition et le développement de la maladie de Parkinson.

Premièrement Michel Neunlist de l’Inserm de Nantes, a réalisé une biopsie intestinale sur des patients atteints de la maladie de Parkinson. Il a retrouvé sur les neurones de l’intestin les mêmes lésions que celles qu’on retrouve dans les neurones du cerveau. Le ventre semble donc dans un premier temps, tout aussi impacté que le cerveau par la maladie. 

De plus, une autre étude réalisée par Elisabeth Svensson pour la Aarhus University montre que les patients ayant eu leur nerf vague rompu (c’était un traitement commun pour l’ulcère entre 1970 et 1995) voyaient leur risque d’être atteint de Parkinson réduit de moitié. Mais les personnes n’ayant eu qu’une petite partie de leur nerf vague coupée n’étaient pas protégés contre la maladie. 

Une des hypothèses aujourd’hui est donc que Parkinson commencerait réellement dans les intestins et rejoindrait seulement dans un second temps le cerveau grâce au nerf vague. Les troubles digestifs pouvant apparaître 20 ans avant la manifestation de la maladie, les chercheurs espèrent pouvoir diagnostiquer, prévenir et guérir la maladie avant même son développement. 

Ces hypothèses s’appliquent-elles à d’autres pathologies ? C’est la question que se posent aujourd’hui les chercheurs, et la maladie d’Alzheimer et l’autisme sont les deux sujets de recherches principaux. 

Chez Open Mind Innovation, ce sujet nous passionne à tel point que nous menons actuellement un sujet de recherche sur l’axe cerveau-intestin. Dans le cadre de ces développements, nous explorons comment notre système nerveux intestinal réagit à une exposition de stress en réalité virtuelle et si cette réaction est couplée aux réactions cérébrales à cette même exposition. En effet, on sait que le stress peut nous donner des sensations directes dans le ventre comme des ‘noeuds à l’estomac’ etc. Chez Open Mind Innovation, nous voulons quantifier ces ‘noeuds’ afin d’aider les participants à réduire leur stress et ses manifestations désagréables dans notre corps. 

Auteur : Anaïs Roux